Thierry Knoll : la fureur et le romanesque

Thierry Knoll : la fureur et le romanesque

Thierry Knoll : la fureur et le romanesque

 Thierry Knoll s’est distingué au dernier festival Ciné en courts à Soulac-sur-Mer avec deux fictions particulièrement maîtrisées et captivantes : Un peignoir pour deux et Appelez-moi Romy. Le cinéaste strasbourgeois n’est pas un inconnu à la FFCV puisque plusieurs de ses films ont déjà été récompensés dans notre circuit, comme Décalage Horreur et Anna. Rencontre avec un auteur phare de la « région 5 » qui prouve que le statut « amateur » n’est pas contradictoire avec l’exigence apportée à la réalisation de films.

Les films les plus anciens accessibles dans votre site Internet dénotent déjà d’une certaine ambition dans le propos et la mise en œuvre. Vie d’en face, par exemple, tourné en 2003 et d’une durée de 35 minutes, s’inscrit dans le genre fantastique tout en développant une belle dimension romanesque. Dans les années qui ont précédé, vous aviez déjà remporté deux fois le Grand Prix du festival « Filmer en Alsace ». Quelle est l’origine de cette passion du cinéma et comment vous êtes-vous formé à la réalisation ? Les festivals situés en Alsace vous ont-ils motivés à progresser ?

Grand cinéphile depuis mon jeune âge, j’ai eu cette envie de mettre en image toutes les histoires que j’avais en tête. Ça a démarré avec des petites vidéos entres amis sans grande prétention, puis fin des années 90 je me suis dit : ok, soit tu continues à faire des films mais en de donnant les moyens de réaliser quelque chose de plus structuré ou alors tu arrêtes. J’ai donc choisi la première option. Pour ça j’ai regardé les films différemment, je les ai analysé en matière de prises de vues, de chronologies des scénarios, de dialogues, de montage… J’ai participé en tant que cadreur à différents tournages amateurs et du coup je me suis perfectionné dans ce domaine. Mais seul on ne peut réaliser un film, j’ai donc appliqué une devise qui m’est chère : « l’art de la réussite consiste à s’entourer des bonnes personnes. » Et c’est comme cela que j’ai mis sur pied une équipe de tournage où chacun a pu apporter son savoir. Et encore aujourd’hui je fonctionne ainsi. Les festivals sont très importants car en plus de pouvoir montrer vos films sur grands écrans cela reste avant tout une compétition qui vous permet de vous situer et de voir votre marge de progression et donc vous motiver à faire mieux au prochain film.

Vous semblez avoir une prédilection à évoquer par vos fictions des faits historiques. Décalage horreur a pour toile de fond la guerre en Yougoslavie en 1991, Dernière danse nous rappelle l’opération Barbarossa en 1941, et Anna est le nom d’une Alsacienne revenant du camp d’Auschwitz en 1945. La cruauté de la guerre est-elle une source d’inspiration ?

Penser un scénario sur fond de guerre va vous permettre d’en tirer des histoires fabuleuses en matière de destin de personnes qui voient subitement leur vie changer avec des choix à faire et des conséquences à assumer.  Mes histoires vont souvent tourner autour d’un portrait de femme dans la guerre. On parle souvent des hommes qui font la guerre en héros ou victimes mais bien souvent on oublie que les femmes la subissent également. C’est ce que j’ai voulu montrer à travers “Anna” ou “Souvenir d’en France” ou encore “Décalage horreur” qui lui, dévoile également l’indifférence des hommes et des médias face aux horreurs de la guerre.

Une autre constante remarquable dans vos films est l’utilisation de la langue étrangère. On entend beaucoup parler le serbo-croate dans Décalage horreur, presque exclusivement le russe dans Dernière danse, et l’allemand dans Anna et Appelez-moi Romy. La langue étrangère constitue-t-elle un challenge supplémentaire que vous affectionnez ?

Tourner un film qui se passe en Yougoslavie ou en Russie et parler en français manque totalement de crédibilité, du moins c’est mon avis. C’est pourquoi j’affectionne effectivement cette particularité que je demande aux comédien(ne)s. Mais le challenge n’est pas pour moi, mais plutôt aux comédien(ne)s car avoir un jeu juste avec des dialogues dans une langue qu’ils ou elles ne maîtrisent pas, c’est tout à leur honneur. Et pour les comédien(ne)s c’est aussi un moyen de montrer une palette supplémentaire de leur talent. Bon, je n’ai pas encore prévu de film asiatique.

Quelles ont été vos motivations à écrire et réaliser vos derniers films Un peignoir pour deux et Appelez-moi Romy, dont les sujets sont apparemment (mais faussement) des sujets plus légers ?

Jusqu’à présent mon domaine de prédilection était le drame car comme on le dit si bien, il est plus facile de faire pleurer les gens que de les faire rire ou du moins sourire. Ce satané virus ayant plombé l’ambiance un peu partout, Je me suis dit que c’était peut-être le moment de se lancer dans cet exercice de style pas simple du tout, à savoir d’écrire des histoires un peu plus légères et montrer aussi que je peux faire d’autres choses que le drame. Pour Un peignoir pour deux je voulais traiter le sujet grave de la sexomnie d’une façon plus légère et par la même occasion faire découvrir à beaucoup de gens ce que c’est exactement la sexomnie. Pour Appelez-moi Romy, c’était mon envie de tourner avec une comédienne allemande mais avec des dialogues en français. Et du coup axer le fil conducteur sur son accent pour rendre le reste un peu accessoire et complètement décalé. Et hop, un challenge de plus pour la comédienne et une lubie de plus exaucée pour le réalisateur…

Le clin d’œil à Romy Schneider dans le titre de votre dernier film témoigne-t-il d’une certaine admiration pour la grande comédienne ? Pouvez-vous nous dire quelles sont vos références en matière de comédien(ne)s et de réalisateur(trice)s ?

En effet j’ai une grande admiration pour Romy Schneider qui m’a fait rêver et aimer le cinéma à travers ces films. C’était une grande comédienne, honnête, battante et qui a su apporter un souffle nouveau dans le cinéma Français. C’est donc un peu ma façon de l’honorer. Je suis assez fan des réalisateurs tels que Claude Lelouch ou Cédric Klapisch qui arrivent à filmer des scènes de façon naturelles et justes. Idem pour les comédiens j’aime ceux ou celles qui ont ce jeu naturel et qui sont capable de tout jouer.

Comment trouvez-vous vos comédiens ? Il semblerait que vous ayiez des relations privilégiées avec Eric Dietrich qui joue les rôles principaux des récents Un peignoir pour deux et Appelez-moi Romy, mais qui l’a déjà dans Vie d’en face il y a vingt ans. Dans Anna, il joue un soldat allemand et dans Décalage Horreur, il parle en serbo-croate dans son rôle terrifiant milicien serbe. Sa palette de jeu est impressionnante, et il vous accompagne dans vos projets du romanesque à l’horreur.

J’ai connu Éric lors du casting organisé fait pour Vie d’en face. Il m’accompagne depuis dans tous mes projets, et c’est également une longue amitié qui à vu le jour en 2003. Quand j’écris une histoire avec un rôle masculin, je pense d’abord à Éric qui peut tout jouer. Ensuite il m’est plus facile d’imaginer le rôle de la comédienne, car mes histoires tournent toujours autour d’un portrait de femme. C’est aussi pourquoi j’aime à travailler à chaque fois avec une autre comédienne et lui donner la possibilité de jouer sur une grande palette d’émotions. C’est en général ce qu’il leur plaît et me facilite le casting.

L’écriture d’un scénario est-elle pour vous un exercice solitaire ?

Oui tout à fait, mes scénarios proviennent de mon propre imaginaire mise à part “Vie d’en face” et “C’est pas comme au cinéma” qui ont été écris par des amis. Tout est source d’inspiration, un lieu, un moment, un accent, une musique… Une fois l’idée trouvée, je me mets à écrire un scénario et une fois terminé je le fais lire à mon épouse et un ami qui a le sens du détail. Tous deux vont me faire part de leurs commentaires et j’en tiens compte sur certains points pour avoir un scénario bien ficelé. Pour moi, ce qui est important dans l’écriture d’un scénario c’est la chute. Si celle-ci n’est pas bonne vous aurez beau avoir une superbe image, un jeu de qualité, le spectateur ne retiendra que celle-ci. C’est comme cela que je vois un court-métrage.

Dans quel dispositif technique réalisez-vous vos courts-métrages ? Comment composez-vous vos équipes, et quel matériel utilisez-vous au tournage comme au montage ?

Tous mes courts-métrages sont auto-produits. Cela veut dire qu’il faut faire preuve d’imagination et de motivation pour mettre sur pied chaque projet. Cela passe par la recherche des lieux (surtout pour les films historiques) puis des costumes, l’hébergement, etc… Puis vient le choix du casting et de l’équipe technique. Comme je ne tourne pas de péplum et que mes histoires gravitent souvent autour de deux ou trois personnages, je n’ai pas trop de difficulté à les trouver. Il en est de même pour l’équipe technique car j’aime travailler avec une équipe très réduite dans une ambiance familiale où chacun apporte son savoir et contribue ainsi à la réussite du projet. J’ai un preneur de son qui me suit depuis très longtemps dans mes aventures et qui a du beau matériel, un éclairagiste qui sait apporter le bon trait de lumière, un cadreur (mon fils) qui maîtrise son sujet en termes d’images, une scripte, une maquilleuse, une photographe de plateau car j’aime à avoir des souvenirs et moi pour la direction des comédiens. Voilà pourquoi mes génériques de fin sont assez courts mais ce qui n’enlève en rien la qualité du travail. Pour le tournage on utilise un Sony A7, deux Led à diffusion haute puissance sur batteries (j’ai une préférence pour la lumière naturelle d’où un équipement en lumière réduit) et le matériel de mon ingénieur du son. Concernant le montage il est fait sur Final Cut Pro.

Vous considérez-vous comme un réalisateur de courts-métrages « amateurs », de films « auto-produits » ou « artisanaux », « non-professionnels », « non-commerciaux », « indépendants », … ? Que pensez-vous de toutes ces « étiquettes » qui font toujours débat à la FFCV ?

Je n’aime pas trop utiliser le terme “amateur” car c’est un peu réducteur. Je préfère le terme “non-professionnel” car la limite entre les deux est parfois inexistante tant la qualité du projet est réussie. Je me considère comme un non-professionnel qui réalise des courts-métrages auto-produit non pas dans le but de gagner de l’argent mais de se faire plaisir avec toute son équipe.

Parlez-nous de vos films que vous qualifiez « Films beauté et mariage » et qui présentent une forte exigence esthétique. Certains « films beauté » semblent être des commandes, d’autres de purs exercices de style. Même vos films de mariage se déclinent sous forme de clips particulièrement soignés formellement. Peut-on parler d’une « touche » Thierry Knoll dans ces mises en scène ?

J’ai eu la chance d’avoir un ami qui détenait plusieurs salons de coiffure et qui m’a permis de faire mes armes dans le genre film beauté où l’on y travaille beaucoup l’esthétique par les prises de vues mais également par la créativité de filmer comme si vous racontiez une histoire. Aujourd’hui encore j’ai toujours grand plaisir à mettre en image l’élégance féminine. Il en est de même pour les films de mariages où la puissance de vos images va faire rêver encore plus les mariés et immortaliser cette journée magique…. quelle qu’en soit la suite !

Votre fiction Valse lente, élégant exercice de mise en scène, sans dialogue, peut s’apparenter à votre catégorie « Films beauté ». On est en tout cas loin des narrations de Vie d’en face, par exemple. Vous aimez varier les genres ?

Le film Valse lente s’inscrit dans le cadre d’un carnet d’essai suite à quelques années d’interruption artistique. Co-écrit avec mon épouse et dans le but de se familiariser avec des moyens techniques différents d’avant puisque nous avons tourné avec un Canon 5D. D’où cette façon de tourner en mode clip. Il en est de même pour Dernière danse qui s’inscrivait lui aussi dans ce carnet d’essai.

Avez-vous contribué à la création du festival Ose ce Court de Bischheim ?

En toute modestie, on peut dire que je suis à l’origine du festival Ose ce court. En effet, en 2002 à force d’envoyer mes films à différents festivals et de participer à certains, l’idée m’est venu d’en créer un car il n’en existait pas dans le Bas-Rhin. Président à l’époque de l’association Puls’vision, j’en ai parlé aux différents membres qui ont adhéré à cette idée. De là, nous avons eu l’opportunité de présenter ce projet avec la ville de Bischheim qui nous a suivi et ceci pendant plus de douze éditions. Au premier festival en 2004, c’était encore l’époque où les cassettes VHS avaient la part belle et où Internet ne permettait pas la diffusion en ligne comme aujourd’hui. Un festival était donc le seul moyen de présenter ses films sur grands écrans. C’était vraiment une belle expérience.

En quoi le CCA Mulhouse où vous êtes adhérent et la FFCV (GUR5) vous apportent-ils quelque chose, et inversement ?

Ayant moi-même vécu cette aventure d’organiser un festival, je suis toujours admiratif de ces associations qui perdure dans le temps et permettent aux vidéastes de participer à leurs festivals. Même si aujourd’hui on peut montrer facilement ses courts-métrages au travers du Net ou des réseaux sociaux, on a cette chance grâce au travail des organisateurs, de vivre ces moments intenses quand votre film passe sur grand écran, des réactions du public et surtout mesurer l’applaudimètre. Rien que pour ces instants, je leur dis un grand merci. On peut dire que le CCA de Mulhouse m’a vu grandir au fil de mes productions et si la distance entre Strasbourg et Mulhouse n’était pas si grande je ferais certainement partie de leur équipe. Quant à la FFCV, cela nous permet de rivaliser avec une production du Grand Est de qualité, puis au niveau national et je trouve ceci très gratifiant. Donc longue vie à ces festivals.

Quelle est l’actualité de Thierry Knoll aujourd’hui ?

Dans un premier temps, nous travaillons sur le montage de notre dernier court-métrage Pour l’amour de Jeanne qui j’espère sera présenté fin de cette année 2022. Ensuite, je viens de terminer l’écriture de mon nouveau projet et je travaille sur l’organisation du tournage qui devrait avoir lieu en septembre 2022. Le sujet parle d’un fait de société : les violences conjugales, mais vu par l’imaginaire de Thierry. Le casting est déjà fait et qui d’autre qu’Éric pouvait tenir le rôle dans ce nouveau court-métrage !

Propos recueillis par Charles Ritter.

Le site Internet de l’auteur :

https://thierrykfilms.book.fr/

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